May 2009 mai
Entrevue avec Lynda Gaudreau/Interview with Lynda Gaudreau
by/de Megan Andrews, traduction de/translation by Marie Claire Forté
Photo de/of Lynda Gaudreau
Lynda Gaudreau est chorégraphe et directrice artistique de la Compagnie de Brune à Montréal. Au cours des trois dernières années, elle a produit le projet de recherche chorégraphique Clash, qui se termine ce mois-ci. | Lynda Gaudreau is a choreographer and artistic director of Compagnie de Brune in Montréal. Over the last three years, she has produced the choreographic development project Clash, which culminates this month.
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Vous avez longtemps travaillé en Europe avant le lancement de Clash en 2006. Qu’est-ce qui vous a incité à réaliser ce projet ? | You spent significant time working in Europe before launching the Clash events in 2006. What motivated you to develop this project?
En fait, les motivations de Clash sont basées a priori sur un sentiment d’isolation que je sentais chez les artistes. Il y a ici un nombre formidable d’artistes en danse, mais si l’on y regarde de plus près, il y a vraiment peu d’événements qui permettent de les rassembler.
La danse est un art encore trop axé sur le matériel physique. Notre rapport à la critique vient le plus souvent de nos pairs sur des jurys ou de textes de journalistes ; c’est assez maigre. Les artistes font un travail intellectuel, ça va de soi pour moi, mais il n’y a pas vraiment d’espace qui permet véritablement de développer les fondements de cette pratique.
Clash permet aux chorégraphes d’échanger, entre autres, des méthodologies de travail et de participer à un lexique agrandi, si je puis dire. Le projet ne cherche pas à développer chez l’artiste un discours détaché de la pratique. Clash met l’emphase autant sur l’analytique que la pratique.
Je viens de passer plus de quinze ans en Europe. Il est évident que les possibilités de diffusion et d’échange, et que l’approche analytique de la création sont vraiment plus développées là-bas ; cela n’a rien à voir avec ici. Et puis évidemment, avec tout ce qui se passe en ce moment ici, je sens encore plus la nécessité d’un tel projet. L’art est en train totalement de devenir de la culture. J’aime la culture, mais la culture c’est de l’art devenu cultivé. La culture c’est un phénomène social en ce sens, il y a du consensus, du marché, de l’échange. Pour sa part, l’art est précieux parce qu’il génère de la différence dans le monde. Peut-être qu’avec Clash, j’essaie de trouver comment ce qui est différent peut arriver à communiquer.
In fact, the motivation for Clash was based first of all on a feeling of isolation that I sensed among artists. Here, there are many fantastic dance artists, but if one looks closely, there are truly few events that bring them together.
Dance is an art still too focussed on the physical material. Our experience with criticism comes mostly from our peers on juries or from journalists’ writing; this is rather meagre. An artist’s work is intellectual – this is a given for me – but there is really no space that truly allows us to develop the fundamentals of the practice.
Clash enables choreographers to, among other things, exchange working methods and to participate in a larger lexicon, if I can say that. The project doesn’t seek to develop an artistic discourse detached from practice. Clash emphasizes equally the analytical and the practical.
I recently spent over fifteen years in Europe. It’s clear that possibilities for dissemination and exchange and the critical approach to creation are more developed there; it is entirely different from here. And even more so, with all that is happening today, I feel even more need for a project like this. Right now, art is being subsumed into culture. I like culture but culture is cultivated art. In this sense, culture is a social phenomenon; it is a consensus of the market, of exchange. On its own, art is precious because it generates difference in the world. Perhaps with Clash, I am trying to find how this difference can communicate.
Quelle expérience souhaitez-vous au participant de Clash au cours de sa résidence d’une ou de deux semaines ? | Over the one- or two-week Clash residency, what is the focus of the experience for participants?
Les deux premières années, chaque artiste a bénéficié de deux résidences de deux semaines. Cette année, le projet est sur deux semaines. Le projet invite chaque artiste à venir faire une recherche précise et pas seulement à venir expérimenter librement. Le but est de travailler sur quelque chose de nouveau au lieu de continuer à faire la même chose dans son coin. Également – mine de rien – savoir ce qui nous intéresse, ce qu’on veut, ce qu’on cherche et si l’on ne le sait pas, être patient et développer de bonnes questions. Les artistes développent ainsi du matériel chorégraphique en même temps qu’ils développent des outils d’analyse pertinents : l’un ne va pas sans l’autre.
In the first two years, each artist benefited from two two-week residencies. This year, the project is only two weeks. Each artist is invited to undertake specific research and not simply to experiment freely. The goal is to work on something new instead of continuing to work on the same old thing. Incidentally, as well, to know what interests you, what you want, what you seek and if you don’t know, to be patient and develop some good questions. This way, artists develop material at the same time as they develop analytical tools that come with it: one doesn’t happen without the other.
Maintenant que Clash tire à sa fin à Montréal, quels sont les effets, selon vous, sur la culture de création dans la ville ou au Canada ? | Now that Clash has run its course in Montréal, what effects do you think it has had on the culture of creation in the city or country?
Il est trop tôt pour le dire et… comment le savoir ? L’impact se fait par ricochet, des gens qui n’ont jamais participé au projet en reçoivent une influence, ça, je le sens. Et puis l’effet varie d’une personne à l’autre ; pour certains ça fait son chemin sur plusieurs années. Je n’ai pas la prétention, de toute façon, de vouloir changer quoi que ce soit. Je crois que l’idée du projet est de nature qualitative et quantitative, et donc d’une certaine façon, c’est de tenter de donner aux artistes plus de moyens d’action qui rendent leurs pratiques plus vivantes et plus singulières.
Là où je suis plus critique, c’est à l’égard de ce que je disais avant : culture versus art. Je trouve déplorables le manque d’imagination de nos politiciens et le manque de politiques culturelles que nous avons ici. Est-ce qu’on va tous devenir de bons artistes efficaces qui font de beaux spectacles avec de beaux éclairages ? Il n’y a qu’à regarder autour de soi, le phénomène cirque fait son chemin. On a besoin de tout, pas juste de cela.
It’s too soon to say or how to know. The impact has a ricochet effect; people who have never participated in the project experience its influence that I can tell. And further, the effect varies from one person to another. For some, it informs their path over several years. I do not pretend in any way to want to change what will be. I believe that the idea of the project is both qualitative and quantitative and so, to a certain degree, capable of giving artists more options that will make their practices more vibrant and more unique.
I’m most critical with respect to what I said earlier: culture versus art. I find the lack of imagination of our politicians and the lack of cultural policy that we have here deplorable. Must we all become good, productive artists who make beautiful shows with beautiful lighting? Just look around; the circus phenomenon is popular. We need everything, not just that.
Autour du projet Clash, vous avez discuté avec des artistes, des critiques, des théoriciens et des diffuseurs. Qu’est-ce que vous tirez de ces activités connexes ? | Around the Clash project, you also held discussions with artists, critics, theorists, presenters, producers and curators. What has been the outcome of these additional activities?
J’ai tenu un projet Clash au Brésil en 2006, à l’Université du Salvador, à Bahia. Le projet regroupait une vingtaine d’étudiants de la maîtrise en danse. Avec le groupe, il y avait également un physicien, une sémiologue et quelqu’un qui connaît la théorie des systèmes. C’est drôle, on croyait s’intéresser à l’idée de cohérence et puis au bout de quelques jours on s’est dit « mais ce n’est pas du tout ce qui nous intéresse ici, une œuvre peut être totalement cohérente mais dénuée d’intérêt ». Voilà un exemple de discussion qu’on peut avoir sur le projet. Le projet a également accueilli pas mal d’artistes visuels et de théoriciens. Cette année, je n’avais pas assez d’argent pour le faire, mais ça fait une différence. Chez l’artiste visuel, le discours est partie inhérente du processus. Et puis très simplement, c’est très stimulant d’être en présence les uns avec les autres, les perceptions sont à la fois très différentes et très semblables.
I held a Clash project in Brazil in 2006 at the University of Salvador in Bahia. The project brought together twenty Masters’ students in dance. They were accompanied by an astrophysicist, a linguist and an individual familiar with systems theory. It was funny, we thought we were interested in the idea of coherence, and then after a few days, we said to ourselves, “but it’s not at all what we’re interested in; a work can be totally coherent but devoid of interest”. That’s an example of a discussion we can have during a project. The project has also included several visual artists and scholars. This year, I didn’t have enough funding to do this but it makes a difference. Discourse is an inherent part of the process in visual arts. Very simply, it’s very stimulating to be with others; individual perceptions are at once very different and very similar.
En mai 2006, vous avez dit au Dance Current que votre esthétique s’aligne à celle de la Judson School. Ce lien existe-t-il encore ? | You said, in The Dance Current in May 2006, that you align your aesthetic with that of the Judson school. Do you still sense a connection here?
Absolument ! Je suis toujours accrochée à cette esthétique. J’aime beaucoup l’art américain de cette période. En quoi le travail d’un artiste résonne-t-il avec le monde ? Ça peut participer à une culture et c’est super agréable, bravo. Ou bien, ça peut faire réfléchir, agir sur nos perceptions et accroître notre « potentiel » d’action. Moi, c’est plus de ce côté que je me range et cela sous-entend ne pas ignorer l’histoire, les courants de pensée, les idéologies et les paradigmes de notre temps.
Absolutely! I am still very connected to that aesthetic. I like American art of that period very much. How does an artist’s work resonate with the world? It can participate in a culture and that’s great, bravo. Or yet, it can offer food for thought, act on our perceptions and increase our “potential” for action. For me, it’s more the latter, and this implies not ignoring history, currents of thought, ideologies and paradigms of our time.
Vous employez un langage scientifique dans votre travail. Vous citez la biologie, la physique, et la théorie des systèmes comme influences. Comment tissez-vous ces filaments dans votre nouvelle création OUT ? | You use scientific language in your work. You reference biology, physics and systems theory as influences. How do these filaments connect in your new work in development OUT?
C’est intéressant ce que vous dites. C’est vrai, je m’intéresse aux sciences mais vraiment, je n’ai pas du tout une approche scientifique et ce n’est absolument pas possible en création. J’ai d’ailleurs beaucoup de difficultés avec les textes académiques, des textes le plus souvent tortueux en solipsisme.
Quand on fait de la recherche, on est toujours en train de chercher le mot qui va tout expliquer ce qu’on fait. Tout à l’heure, je vous ai parlé de « cohérence » ; et bien, les dernières années, mon mot magique était « langage ». Je suis alors retournée à mes études en philosophie et puis je me suis rendue compte que je ne m’intéressais pas au langage, au contraire, je m’intéressais à ce qui était en dehors du langage. Dans quel champ de la science ça se trouve ? Qui s’y intéresse ? Tiens, il y a quelqu’un en architecture qui a fait un projet autour de cela ? et c’est reparti !
It’s interesting what you say. It’s true, I am interested in science but really I don’t have a scientific approach at all and it’s absolutely not possible in creation. Actually, I have great difficulty with academic texts, texts most often tortured in solipsism.
When one begins research, one is always in the process of searching for the word that will explain what one does. Earlier, I spoke to you about “coherence” and in recent years my magic word has been “language”. So I went back to my studies in philosophy and I realized that I was never interested in language; rather, I was interested in what is beyond language. In which field of science do we find this? Who is interested by this? Right, is there someone in architecture who has created a project around this … and here we go!
Vous vous intéressez à l'interdisciplinarité et il me semble que l’idée de la convergence disciplinaire est importante pour vous. Êtes-vous d’accord ? With respect to your interest in interdisciplinarity, it seems that the idea of disciplinary convergence resonates for you. Would you agree or disagree?
Les collaborations les plus stimulantes que j’ai eues ont été, pour la plupart, avec des artistes d’autres disciplines. Je me suis aperçue qu’en danse, il était difficile de partager son champ de pratique – je crois que c’est aussi pour cette raison que Clash existe, c’est possible. Je travaille en ce moment avec Dana Gingras sur ma nouvelle création et c’est vraiment une collaboration inédite très excitante. Sinon, je viens de commencer un projet Clash à Vancouver. Six chorégraphes travailleront ensemble sur le projet en 2010.
The most stimulating collaborations that I’ve had were for the most part with artists from other disciplines. It seems to me that in dance, it is difficult to share its field of practice and I think that it’s likely also for this reason that Clash exists. Right now, I’m working with Dana Gingras on my new creation and it’s truly an open and exciting collaboration. Otherwise, I will debut a Clash project in Vancouver with six choreographers in 2010.
*An excerpted version of this interview appears in the May 2009 issue of The Dance Current.
La dernière édition de Clash se déroule du 21 au 26 mai à 17h30 à Tangente, Montréal.| The final edition of Clash runs from May 21st through 26th at 5:30pm at Tangente, Montréal.
Pour en savoir plus | Learn more >> www.lyndagaudreau.com; www.tangente.qc.ca
Thursday, April 23, 2009
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